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Impasse des Pas Perdus
14 mars 2007

Quand l'artiste est "double je", soit GASTINE Marguerite & Lyda

    Couleurs_de_terre

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    Orange

    Artistes aubagnaises, elles ont marqué de leur nom les célèbres faïenceries que furent Saint-Jean-Du-Désert ou Moustiers, au début du siècle. Le temps d'une brillante exposition, les "Demoiselles Gastine" renouent avec leur berceau : celui du feu, de la terre et d'une céramique locale qui perpétue dans leur sillage son grand destin.

    Gastine_MargueriteLes soeurs Gastine restent un cas à part...

    Prodigieuse par son foisonnement, leur oeuvre forme un épisode majeur de ce goût éclectique, original et plein d'allant, qu'elles ont si librement incarné en 1920 et 1950.

    Premières femmes à travailler seules dans le secret du tour, c'est à l'occasion d'Argilla, biennale consacrée de l'argile, que la ville d'Aubagne les découvre en 1991, par l'intermédiaire du santonnier-collectionneur, René Pesante.

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    En 1992, sous le titre "les Clefs et la Marguerite", le musée marseillais des Arts et Traditions populaires de Château-Gombert, pique à nouveau la curiosité et l'intérêt, cette fois-ci tout à fait éveillés, des vrais connaisseurs. Parmi eux, Henri Amouric, chargé de recherches au CNRS, au sein du laboratoire d'Archéologie médiévale méditerranéenne, va se prendre au jeu : "Nulle part encore, nous n'avions rencontré autant de désinvolture, une telle liberté de ton, une fantaisie aussi débridée". Dès lors, il n'aura de cesse d'en ranimer la mémoire. Il faudra pour cela gagner la confiance de la famille qui, peu à peu, ouvrira les portes de ses maisons, de ses souvenirs, de ses trésors, afin que les pièces d'un puzzle extraordinaire génèrent la passion d' "un rêve de chercheur, un rêve d'enfant devant le coffre du pirate devenu une réalité concrète. Tant de maquettes, de modèles, de poncifs, de photographies, de moules, de biscuits et d'objets de toutes sortes, se sont soudain offerts à nos yeux !" En clair, ce que les spécialistes des choses anciennes appellent un fonds d'atelier (800 objets, 80 caisses de moules, 4 000 travaux préparatoires) reviendra ainsi à la surface en 1996, aussitôt racheté par la municipalité.

    Intense en émotions et en révélations, l'exposition présentée dans le cadre d'Argilla 97 dévoile aujourd'hui la richesse d'une documentation inouïe, réunie autour d'une double vie de travail et de création.

    LES COULISSES BOHEMES DE LA TRIBU GASTINE

    Dès l'enfance, l'ambiance propre aux ateliers d'artistes égrène le quotidien de Lyda et Marguerite Gastine. Après le grand-père Camille-Auguste (1819-1867), peintre décorateur, ces deux-là grandissent avec leurs autres soeurs, Véra et Cécile, leur frère Raymond, entourées par leurs parents, Gabriel (1853-1925) et Louise.

    Si leur mère est d'un naturel discret et effacé, leur père, excellent ingénieur-chimiste, est un savant original. Parmi ses inventions, l'histoire retiendra le "pal-injecteur", appareil destiné à injecter dans le sol différents engrais et pesticides, notamment du sulfure de cuivre, afin de traiter les vignobles ravagés par le phylloxéra. Grand amateur de photographies, il laisse encore derrière lui des milliers de plaques de verre, vision saisissante d'une famille unie, concentrée autour d'un patriarche exclusif, qui refusera toute son existence de marier ses filles, restées désespérément célibataires... Installé à Marseille au 32, rue de la Croix-de-Régnier, Gabriel Gastine habite avec les siens, une étonnante maison bourgeoise au milieu d'un vaste jardin, construite par un prince russe en  1860 : parquets et lambris exécutés dans des essences rares, cheminées de marbres précieux, pièces d'apparat, terrasse à l'italienne, c'est dans ce cadre extravagant, quelque peu décadent et mystérieux vu de l'extérieur que s'anime une vie sociale peu conformiste. Véra joue de l'orgue, Lyda peint, Marguerite s'essaie à la céramique. Entrées aux beaux-arts de Marseille, "comme on fait ses humanités", les deux jeunes soeurs vont poursuivre une formation très solide, récoltant quantité de récompenses et d'essais académiques fort prometteurs : dessins et peintures pour Lyda, paysagiste dans l'âme ; modelage et arts décoratifs pour sa cadette, plus garçonne, dotée d'une sacrée personnalité.

    Et si le projet familial n'était sans doute pas d'en faire de brillantes financières, le chemin tracé par ce père rigoureux et omniprésent leur offre un vent de liberté, où soufflent déjà tradition et modernisme.

    Gastine_Etude

    Les bases classiques sont d'emblée bousculées par l'audace du goût et du talent.

    En 1922, Marguerite présente ses réalisations à l'Exposition coloniale de Marseille et savoure un succès immédiat.

    En 1925, ses céramiques sont primées à l'Exposition internationale des Arts décoratifs à Paris. La roue est lancée...

    Quant à Lyda, engagée volontaire comme infirmière pendant la Grande Guerre, on la retrouve au début des années 20, décoratrice, à la faïencerie de Saint-Jean-du-Désert à Marseille, avant qu'elle fonde intimement son destin dans l'ombre de sa soeur.

    Entre-temps, la demeure familiale a changé de visage : tour à tour entrepôt, magasin, bureau, lieu de réflexion.

    Les deux complices déménagent leur charmant capharnaüm à Aubagne, dans une maison atelier plantée de capucines, ombragée de figuiers et d'oliviers, sur les hauteurs de la vieille ville. Dans cet endroit si différent, à deux pas du céramiste Louis Sicard dont les cigales sont déjà en vogue, chacune s'active à sa tâche : Lyda emploie ses compétences à la partie technique, obscure du métier (préparation des pâtes, moulage, cuisson du biscuit, émaillage) ; Marguerite s'adonne à la peinture, au décor au grand feu. Et si la signature de l'une se fait rarissime, les pétales emblématiques de l'autre sont franchement envahissants. Qu'importe, les règles apparemment fixées semblent glisser sans heurts entre humilité et ambition, modestie et soif de reconnaissance : bref, les frontières incontestables entre les deux femmes s'effacent, pour laisser place à une production complémentaire.

    Gastine_atelier
    Studio Detaille - Photographie de Fernand DETAILLE
      (Fonds : © Gérard DETAILLE) Copyright

    Fidèles aux formes les plus classiques du répertoire mais aussi à la tradition régionale, leurs décors sans cesse réinterprétés, vibrant d'harmonie, n'en sont pas moins d'une éclatante actualité, où géométrie, stylisation, ode aux franches couleurs de la Méditerranée (bleu égyptien, vert turquoise, jaune ocre) dénotent un sens inédit de la composition, ponctué çà et là, de quelques petites marques de fabrique, voire même imperfections qui, ajoutent de l'intérêt à l'argile si patiemment façonnée, puisée tout près du Garlaban. Terre "maigre" propice à un effet de vieillissement, sa veine rosée transparaît le plus souvent dans l'émail léger d'un blanc monochrome, appliquée par choix esthétique. Et si la matière résiste parfois mal à la cuisson, Lyda et Marguerite en corrigent les défauts, en ajoutant du sable de la Bédoule.

    Au fil des ans, les créations vont suivre le mouvement des rencontres et des amitiés fécondes. Marcel Provence, écrivain, journaliste au nom prédestiné, céramiste et futur créateur du musée de Moustiers, va ainsi les associer à la renaissance du petit village des Alpes-de-Haute-Provence, dont il rêve de rallumer les fours : "Imaginez ce que devait être aux XVIIe et XVIIIe siècles, un triangle qui passait par Varages, Riez, Mane, Forcalquier, Apt, Le Castellet et dont le sommet lumineux s'éclairait à l'étoile de Moustiers... Marguerite et Marcel Provence fusionnent pour relancer les fours de Moustier. Cette échange lui vaudra l'obtention des moules de Lagnel qui par la suite seront hérité par Pesante dans un ensemble de 80 moules. René Pesante les prêta également à Simone Garnier de Moustier de son vivant jusqu'à ce par passation, l'évéché de Nice en devint le propriétaire. Rétrocession fut faite à une association de non-voyant.

    Que reste-t'il de cette splendeur ? A peu près rien..." Sa première rencontre avec Marguerite fait date : "Telle que je la vis, avec ses yeux couleur de crépuscule, sa robe mauve, son petit chapeau avec sa mentonnière, son grand cabas plein de faïences, elle me parut glisser d'un livre de Francis Jammes... " Après avoir oeuvré à la promotion, il les entraîne toutes les deux dans une folle épopée, durant les étés 1927-1928, Les Gastine inventent des formes résolument modernes, redessinent les lignes de l'Art déco, jonglent avec une facilité et une réussite déconcertante autour des effets de matière .

    Déceptions, inévitables frictions des enjeux commerciaux, l'épisode Provence marque leur dernière expérience professionnelle, loin d'Aubagne.

    UN ARTISANAT LUDIQUE A L'ECLECTISME MAITRISE

    L'atelier retrouvé, des choses délicieuses, drôles, délirantes, kitsch, délicates, fortes ou tout simplement belles, vont rythmer leur parcours. C'est le temps des oeuvres exceptionnelles, des commandes spéciales obtenues par un solide réseau d'amitiés entretenues entre le Midi, la région parisienne et même le continent américain : assiettes au décor de cyprès pour le célèbre restaurant Brun de la cité phocéenne, service "Tauromachie" pour Lionel de Lumley, service "Jacotte" pour bateau élégant, décors aux santons pour Léopold Dor (grâce auquel elles acquièrent une importante série de moules de Lagnel, dont les tirages formeront leurs premières séries de petits personnages), plaques et étiquettes pour le parfumeur Paul Emerigon à Grasse, affiches pour la pastorale Maurel, enseignes de boutiques, cartes postales, carreaux...

    A la maîtrise, les Gastine superposent, sans le moindre scrupule, une parfaite assimilation des tendances Art déco, réminiscences de la Grèce Antique, influences d'Extrême-Orient ou emprunts à l'ethnographie coloniale. Nourrie de culture, la tradition est bel et bien revendiquée, comprise, repensée sans jamais s'essouffler, particulièrement au gré d'une vaisselle raffinée et novatrice que composent services à bouillabaisse, à thé, à café, à liqueur, soupières, terrines, bols, saucières, compotiers cannelés, plats, coupes et bien d'autres références.

    Les santons de faïences naïfs et bons-hommes, inspirés par le voisinage des maîtres artisans Elzéar Rougier et surtout, David Dellepiane pour Marguerite, lèvent le voile sur une énième facette de leur originalité, "tant le style est neuf, reposant et frais". Mais quel étonnement pour l'amateur que de les voir à l'ouvrage ! Pour chaque pièce, les deux infatigables créatrices, perfectionnistes dans l'âme, multiplient les esquisses, les études de détails.

    Voir absolument la statue en terre cuite "Tanagra" de l'atelier Gastine, Aubagne.

    A l'écart du monde, comme un peu égarrées dans leur siècle, elles se tiennent malgré les apparences, régulièrement au courant des grands mouvements artistiques français et internationnaux, grâce aux revues spécialisées. Pendant près d'un demi-siècle, mille et un décors, activement recherchés depuis par les collectionneurs, émanent ainsi de leur production : "à l'ancienne", façon vieux-marseille et vieux-moustiers, décors aux Chinois, Art déco marbrés et givrés, décors animaliers, de poissons, de marines, de santons et sujets religieux...

    A l'évidence, comme le confie Henri Amouric : "Elles savaient tout faire ou presque, avec le plus parfait bonheur. Eclectiques oui, mais aussi versatiles, sages ou fantasques, explorant mille voies sans en explorer aucune, sans jamais théoriser leur labeur. De l'usuel à l'inutile, de l'art à la fantaisie, elles ont témoigné une véritable joie d'exister, de travailler, dans l'humour et l'honnêteté. Une sorte de voyage immobile au cours duquel, seuls s'activent les mains et l'esprit. A nous de savourer cette formidalbe leçon de vie !".

    BIBLIOGRAPHIE

    • Maisons "Côté Sud" numéro 48 de novembre 97

    • C'est article s'est librement nourri du très bel ouvrage catalogue de Henri Amouric et Sophie Grégoire, chez Narration.

    • Livre "Le vase boule" par Falconetti, (E) Paoldi (Gérard) - 1996
      Ouvrage en français

    • Mes remerciements les plus sincères et les plus chaleureux à Henri Amouric et à la famille Gastine, ainsi qu'à Caroline Guiol, pour ses textes dans l'édition "Côté sud" et les photos de Patrice de Grandry.

    EXPOSITIONS

    • 1997
      Lyda et Marguerite Gastine "L'Art et la Fantaisie"
      jusqu'au 16 novembre,
      Ateliers Thérèse-Neveu, cours de Clastres, 13400 Aubagne

    Notes

    sur Marguerite

    Une rue à Aubagne porte son nom "avenue des Soeurs-Gastine" 13400 AUBAGNE

    .......................

    Traduction  : Français,  Allemand,   Anglais, Arabe,   
    Parution : 14 mars 2007
    Mise à jour  : 5 décembre 2009

             

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