21 septembre 2011
Vaisseaux fantômes du cimetière des bateaux à Bono
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Ce fut une mémorable journée pour moi de découvrir la rivière du Bono. Arrêtez-vous un instant, lecteur de cette page, et songez devant ces carcasses grandes ouvertes dans l'estran, à ces lointaines traversées qui jonglent dans le palmarès de chacun de ces gréements.
Le cimetière de bateaux de Pluneret, vers Bono, est une trace physique de l'activité humaine. Il fait partie du patrimoine marin et nous ramène à la période ostréicole de l'huître plate des années 1970, décimée durant la deuxième Guerre Mondiale par les épidémies. Devant cette scène, ma respiration souleva mes côtes et j'imaginais mon corps au plus profond démuni telles ces entrailles sur la rive du Bono.
Auparavant, nous avions enjambés le vieux pont suspendu tout articulé et si souvent sollicité par les photographes pour sa construction demeurée et classée.
Mais la rencontre n'était pas là et je fus saisie de doutes quant au sentier côtier à prendre. Les rives ne s'identifiaient pas pour autant, je devais donc faire un choix pour retrouver ce paysage partagé. Nous nous mîmes en quête de longer la rive bordée d'arbres majestueux dont le reflet m'invitait à rêver aux cales tant attendues des chalutiers.
Nous traversions des cabanons dispersés et démunis. Chaque habitation était entourée de tuiles chaulées, souvenir de cette période ostréicole où chaque pêcheur attaché à son cabanon, attaché les larves d'huîtres aux tuiles, pour les voir croître tout au long de la saison.
Les rives me semblent toujours le partage entre l'eau et la terre comme ces carcasses éventrées dont le processus d'altération par l'eau les rend sédiment. Je découvrais l'anse.
Parmi les débris de bois flottés le long du littoral, nous aperçûmes au loin des formes squelettiques bercées par un clapot qui nettoyaient les sédiments déposés dans la vase. Cette lente agonie vibre encore dans mes tempes. Je voudrais conserver ce spectacle inoubliable et le fait de le capter dans mon objectif par cette multitude de clichés me rappelle cet instant.
Ce lieu profond et silencieux, tamisé par l'ombre des grands arbres, l'abritait. Nous étions dans la limite "terrestre" et je contemplais l'effort du temps qui donnait ce tableau. J'avais conscience que cette palette de couleurs unique disparaissait avec le temps par les formes englouties. Je m'aclimatais à cette impression du bout du monde à la vue des épaves. Les carcasses aux teintes sourdes déployaient leur ossature teintée de rouille. Au fond de l'eau, le métal déposé par son poids s'identifiait. De ci, de là, j'apercevais un moteur dont le nom de l'inventeur rutilé sur une plaque avec son matricule, les pales, une ferrure de gouvernail... Même la végétation s'abandonnait à cette érosion et un arbre couché en guise de cénotaphe semblait imiter son confrère sculpté par la main de l'homme pour concevoir l'arête de la chaloupe vrillée.
Les coques m'interpellaient tant la couleur révélée s'identifiait dans le patrimoine marin. Je m'approchais et me hasardais accrochée à quelques broussailles à investir le lieu au milieu de la vase pour découvrir cet univers riche en couleurs, mais également en forme. Elles décelaient leur rudesse du temps par la matière, mais s'imposaient comme cétacés échoués qui agissait sur l'oeil acéré par l'imposante ossature. Chaque membrure devenait membre, chaque coque s'apparentait à une silhouette élancée par le bois du mât. Les côtes saillantes se prolongeaient sur l'arête dorsale posée à même la vase. Je découvrais cette nature, irrationnelle avec sa part d'oeuvres morte et vive. Je négligeais le temps, confondue dans le présent, devant ces vieux compagnons de marins qui parfois avaient poursuivi leur vie durant, ces animaux marins.
Derrière cette flottille d'anciens bateaux de pêches, plates, canots qui encombrait le fond marécageux dit vasière, la façade du vieux manoir de Montigny dans son bocage fait face à ce bras de rivière qui ressemble à un lac.
Je baissais mon regard et remarquais mes sandales aspirées par la vase, à jamais imprégnées de cette substance qu'est le cimetière marin où mon rêve a pris consistance. Je n'y ai pas vu de stèle, ni de pierre... Alors je dédicace celle inscrite dans mon imaginaire.
Naît de la nature terrestre,
J'ai passé ma vie sur l'océan,
Mon âme est partagé avec celle du marin qui y habite,
Balloté par les flots,
J'attends d'être rongé petit à petit,
en rêvant à ma gloire passée...
Les cimetières à bateaux
1991 fut une année charnière pour les vieux bateaux. Le plan Mellick offrait la possibilité de mettre à la casse son bateau en échange d'une prime.
Au niveau environnemental, ces épaves occupent illicitement le domaine public et face au tourisme écologique, il est mis en avant que le promeneur est menacé d'un danger.
Je ne fais pas partie de cette opinion et j'accorde au temps qui passe, tout le mérite d'avoir existait et de permettre une lecture directe du passé maritime de cette belle région avec les métiers transverses comme ceux des charpentiers, les grandes heures de la pêche et du cabotage.
Le village
Le village le Bono est l'ancienne propriété des moines de Sainte-Gildas-de Rhuys qui est devenu une commune en 1947. Son nom breton "er benew" aurait pour signification "limite", mais on le retrouve également dans le mot gallo "Bono" qui veut dire "marécage". Ce village de pêcheurs est constitué d'un port au confluent de la rivière d'Auray et de la rivière du Bono qui se jettent dans le Golfe du Morbihan. La jetée fut construite en 1882 et le port fut creusé en 1902, année de naissance de mon grand-père qui aimait se rappelait "ce siècle avec deux ans lorsque je suis né" de Victor Hugo (1802).
Le vieux manoir de Montigny
Appelé également château de Kérisper, il appartenait à la famille Jean de LESTRELIN, en 1426, qui avait les terres de Kerlois et possédait la seigneurie de Kerisper en Pluneret. Il mourrut en 1529 ; Son fils, Louis en fut l'héritier. Il possédait la seigneurie de Kerlois, de Kerisper (Pluneret) et de Liscoët (Pluvigner). De son mariage avec Marie de Botderu, il eut un fils Gilles Guillaume de LESTRELIN qui vécut jusqu'en 1583. Guillaume se maria en deuxième noce avec Perrinne DROUILLART. Ils eurent deux enfants Gillette et Louis de MONTIGNY qui de son mariage avec Anne LE PENNEC eurent Guillaume et Jean de MONTIGNY qui épousa Anne de CADORET*. Puis la propriété appartenut à la famille Louis CADORET (fin du XVe siècle) qui épousa Françoise de LOUENAN. De cette union, une fille naquit "Anne de Cadoret*" qui épousa Jean de Montigny. Elle y vécut de 1601 jusqu'à la révolution. à la dame Renée de Montigny, veuve de Louis, Comte de Sarrant (1811), héritière des LESTRELIN. Puis se succédèrent les MONTAIGU (XIXème siècle), SAINT-PERN (1876), GRAND (1897), DOUAULT (1900), POMMOIS (en 1979). Autrefois, il possédait une chapelle privée, maintenant, il est le théâtre de l' "Ecume".
Le vieux pont
Il clôture sa trajectoire, le long du bois de Kerisper et surplombe le port depuis 1840. Il mesure 97 mètres et est classé Monument Historique depuis 1997 ; c'est facile à retenir 97 et 97 ! Sa construction a débuté le 25 août 1935, terminé en 1840 ; il fut remanié en 1870 et ne cesse depuis d'être restauré. Il fait partie des deux derniers ouvrages en service qui existent en France de ce type. Il est fait de bois et ne convient plus au trafic routier et il est donc devenu à usage piétonnier depuis 2006.
L'église
A quelques emcablures, se situe l'église Nôtre Dame de Béquerel, conçue en granit gris. Elle fut construite au dessus d'une source dite miraculeuse.
A savoir,
Il existe en Bretagne une douzaine de cimetières de bateaux, situés principalement sur les côtes du Finistère et du Morbihan.
. Le cimetière des vieux bateaux "Tanet" sur la Rance, à la Passagère dans la commune de Quelmer
. Le Dahouet à Locquémeau à Paimpol (Côtes d'Armor),
. Le cimetière marine de Sillon à Camaret (Finistère),
. Epaves de Douarnenez de Port-Rhu (Finistère),
. Epaves et cimetière marin du Magouër en Plouhinec (Morbihan),
. Epaves Arradon - Auray (Morbihan),
. Cimetière de bateaux de Landévennec, anse de Penforn (dans la rade de Brest),
. Cimetière marin de Kerhervy à Lanester (Morbihan),
. Cimetière de bateaux de Pluneret,
. Cimetière de bateaux d'Audierne
. (Calvados).
et un peu plus loin,
. de Ciboure à Saint-Jean-de-Luz,
. du Petit Port à Boulogne-sur-Mer.
A voir également,
. Tombelles, sépultures paléolithiques proche d'un tumulus qui couvre une allée empierrée
. Le cimetière marin de Bono avec la tombe de la Comtesse de Ségur et de son fils
. Calvaire percée de Yves Nicolazic,
. Tombe de Bernard Moitessier,
. Le sentier du littoral sur plus de 8 km,
. La Chapelle Notre-Dame de Bequerel construite sur une source miraculeuse.
. Le jardin de Mémoire où voisinent entre arbres des urnes funéraires.
Bateaux
Cakou, Chaland, Forban, chaluttier, sardinier, sinagot, langoustier, sablier...
Accès
Bono est situé à côté de la commune d'Auray dans le golfe du Morbihan.
Depuis le port de Bono, traverser le pont suspendu et prendre la rive droite qui longe le sentier côtier qui rentre dans la forêt de Kerisper.
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Voir les titres des romans de ma liste d'auteurs lus
(clic sur photo pour lien)
Bibliographie
Voyage août 2011
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Voyage
Traduction : Français, Allemand, Anglais, Arabe,
Parution de l'article, mercredi 21 septembre 2011
Mise à jour : 21 septembre 2011
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Commentaires sur Vaisseaux fantômes du cimetière des bateaux à Bono
- Merci pour ce joli partage et tes jolis textes ! Quel endroit magique et surtout poétique.
- Chère Pas à Pas, je n'en reviens pas de la beauté transfigurante de tes deux premières photos... Bleu et vert et ciel bleu-gris... Deux toiles de maîtres hypnotiques... On pense à cette "beauté convulsive" évoquée par André Breton à la fin de "Nadja"... Puis la femme au fichu sur la coque de ta cinquième et la carcasse envasée de ta sixième apparaissent, pareillement, telles des morceaux de rêves... Je reviendrai m'instruire "par le texte" (immense à lire, et certainement passionnant) dès demain soir... Quelle exigence tu as... Je t'ai dit un jour que ton site était unique : je n'en connais aucun autre, aussi "naturellement" esthétique et encyclopédique... Merci aussi de tes visites récentes (Ah, tes "mots" sont si courts, cependant...) & Amitié !
- Je tenais à revenir sur tes photos, ton cadrage est plus qu'excellent et les rayons du soleil ajoutés donnent à ce cimetière de bateaux des allures d'expo ... rouge vermillon, bleu, orange, délavés, vert ...
J'aime beaucoup les trois premières et celle avec ce portrait de femme en gris
Chère Pas à Pas, je te souhaite un magnifique dimanche plein de couleurs - Très beau reportage sur ce sujet que j'affectionne.Ces vieilles carcasses qui finissent leur vie au fond des anses ne méritent pas qu'on les détruisent car elles sont le témoignage d'un métier qui se meurt. D'ailleurs en Bretagne, la légende veut qu'on les laisse là où elles se sont échouées, les déplacer ou les détruire porterait malheur...
- Certaines de tes photos sont saisissantes, car elles figurent magnifiquement le temps qui ronge tout. L'épave encore jeune, pleine de vie avec ses couleurs vives cotoie l'épave décharnée, rendue à l'état de vieille colonne vertébrale envasée. Je partage ton avis qu'un cimetierre marin est une sorte de musée - plein de nostalgie, bien sûr - des métiers de la mer. Musée en plein air, qui parle directement au coeur, et nous rappelle que tout passe et trépasse.
- Le Rivage des Syrtes" Ce lieu profond et silencieux, tamisé par l'ombre des grands arbres, l'abritait. Nous étions dans la limite "terrestre" et je contemplais l'effort du temps qui donnait ce tableau. J'avais conscience que cette palette de couleurs unique disparaissait avec le temps par les formes englouties. Je m'aclimatais à cette impression du bout du monde à la vue des épaves. "
Ta description colorée de l'entrée au cimetière de bateaux de Pluneret me fait exactement penser à l'arrivée du personnage central du livre "Le Rivage des Syrtes" de Julien Gracq (publié en 1950 ou 1951): Aldo, l'envoyé de la capitale endormie Orsenna, vient d'arriver dans la nuit et la brume jusqu'aux confins du monde : face à lui se dresse la forteresse de l'Amirauté et s'étend l'espace infini des lagunes, bordant une mer qu'on suppose morte... Solitude face à la Mer des Syrtes... Le chapitre s'intitule simplement : "Une prise de commandement"... Un passé de trois cent ans semble prêt à se réveiller au signal de cette intrusion...
Bravo encore pour les merveilles de ton espace aux rêves, infiniment riche et précis !
Pourquoi ne pas tenter de faire publier un jour ton Encyclopédie sur papier glacé ???
Amitiés... - Naît de la nature terrestre,
J'ai passé ma vie sur l'océan,
Mon âme est partagé avec celle du marin qui y habite,
Balloté par les flots,
J'attends d'être rongé petit à petit,
en rêvant à ma gloire passée...
Je suis passée, me suis arrêtée, j'ai fait une pause et j'ai apprécie ... j'attends ton retour
Bises - En 2011 donc vos photos m' avaient donnée envie de rendre visitesà ces bâteaux oubliés ...mon rêve s' est réalisé la semaine dernière ...les découvrant dans leur univers de gel exceptionnel en Morbihan ..Pur moment de grâce ...
Mon reportage sur " les carnets de Mathilde " vous donnera de leurs nouvelles si vous le voulez bien ...Comme vous , nous avons eu du mal à les quitter ...le froid pénétrant nous a aidé ...
Vous nous avez donné l' envie ...avons suivi vos petits cailloux sur le chemin tracé ...
MERCI beaucoup